• Quand la voix d’un poète s’éteint… (à propos de Serge Wellens)

     Bernard Mazo rend hommage à son ami de 50 ans

    Quand la voix d’un poète s’éteint, c’est toute une partie de la mémoire du monde et de ses amis qui s’efface avec lui. Serge Wellens aurait eu quatre-vingt trois ans en août prochain. Né le 11 août 1927 à Aulnay sous Bois en Ile de France, il est mort subitement dans la soirée du dimanche 31 janvier 2010, à l’hôpital de La Rochelle où il venait d’être admis à la suite d’une mauvaise chute. Il était serein à la perspective de la mort, simplement il redoutait la dégradation physique et la dépendance qui en découlerait. Le destin lui aura épargné cette épreuve.

    Serge Wellens, c’était un poète « à hauteur d’homme » un humaniste. C’était un ami incomparable, mon ami depuis cinquante ans.


    « La concordance des temps » 

    C’était dans les années soixante. Nous habitions le même quartier. Nous nous retrouvions chaque semaine, au bas de Belleville, dans la vaste arrière-salle enfumée d’un café de la rue du Surmelin – à quelques encablures de la librairie du Gay savoir que tenaient Serge et Marguerite Wellens – pour lire des poèmes. Il y avait là, certains soirs, outre les jeunes poètes encore balbutiants comme Max Alhau ou moi-même, les grands aînés amis de Serge : Jean Rousselot, Jean Dubacq, André Miguel, Marcel Béalu, Jean l’Anselme, Edmond Humeau, Jean Follain… Marguerite avec sa voix chaude de tragédienne lisait aussi bien leurs poèmes que les nôtres lorsqu’elle avait un coup de cœur.

    Mais foin de souvenirs personnels, pour ceux qui veulent connaître la vie si riche et intense de Serge Wellens, je leur recommande la lecture de la monographie que lui a consacrée en 2008 François Huglo dans la très belle collection Présence de la poésie que dirige Cécile Odartchenko aux Editions des Vanneaux, ainsi que le numéro spécial n° 125, de mars 2005, de la revue Décharge.
    Quant à moi, je voudrais centrer cet hommage sur la poésie de Serge Wellens, et plus singulièrement en revisitant pour le lecteur l’anthologie emblématique de l’auteur qui regroupe quarante années d’écriture du poète et qui s’intitule : "La concordance des temps poèmes 1952-1992" , parue en 1997 aux Editions Folle Avoine et dont je recommande vivement la lecture.
    En 1958, Jean Dubacq, Serge Brindeau, André Marissel et Serge Wellens reprennent le flambeau de la revue , fondée en 1951 par André Malartre. La nouvelle revue durera dix ans. Elle y publiera nombre de jeunes poètes débutants. On y retrouvera ce souffle léger et roboratif voisin de celui de l’Ecole de Rochefort, une poésie proche de la nature, sensible à la beauté du monde, en un mot tout ce qui caractérisera l’œuvre de Serge Wellens, une œuvre marquée par la discrétion, l’humilité, traversée de loin en loin par et un humour corrosif ; une œuvre dont on peut mesurer l’ampleur et la ferveur dans "La concordance des temps" .
    L’ouvrage s’ouvre par un poème qui figurait dans le premier recueil publié en 1952 par le poète dans la collection des Cahiers de Rochefort et intitulé "J’écris pour te donner de mes nouvelles" et dont la miraculeuse simplicité augurera ce que sera la caractéristique principale de l’œuvre à venir :



    "Avec leur tristesse et leur faim
    leur tentation et leur fatigue

    Ils étaient là pour écouter
    la parole du boulanger

    C’était le miracle du pain
    La multiplication des hommes."


    Car chez Serge Wellens, la parole était nue, l’image d’une lisibilité immédiate, l’émotion maîtrisée :

    "C’était un jour encore à jeun
    du premier cri d’oiseau
    du premier pas de l’homme
    (…) et ce fut une grande joie
    car tout était réconcilié
    car tout était à partager
    car tu marchais sans le savoir
    depuis longtemps
    à ma rencontre

    C’était un jour qui ne vieillira
    pas."



    L’inquiétude, qui gît au cœur de l’homme face à la précarité de sa condition, est sans cesse présente et ne peut être exorcisée aux yeux du poète que par l’écriture poétique, qui seule est susceptible de déchiffrer les arcanes de la nature et l’énigme du sacré. Pour Serge Wellens, c’est à l’écoute du quotidien, c’est à travers cet état de veille où il surprend le vol effarouché d’un oiseau, le moindre frémissement d’un brin d’herbe courbé par la brise, la course apeurée d’un lièvre à travers champ, que l’homme périssable accède à l’intemporel, à une sorte de raccourci de l’éternité :



    "Ici et non ailleurs
    s’écrit notre futur
    dans la mémoire des pierres

    (…)Précaire éternité

    (…) inusable temps où l’écume
    se désenchante en poussière.

    On conjugue un passé
    très proche et très lointain

    Au présent imparfait
    au futur incertain"

     

    Mais quoi qu’il fasse le poète est toujours incertain de ses fins, de la pérennité de son chant :



    "C’est toujours derrière la porte
    que le poème a lieu
    et l’on ne sait jamais
    qui de la porte ou de
    celui qui l’interroge
    est condamné

    (…) Car ton poème n’est
    et d’ailleurs nul poème
    parole d’évangile
    Décousu de ta pesanteur
    Il se retourne contre toi
    Il t’éconduit."


    Et la lucidité du poète reprend toujours ses droits :

    "Il n’y a rien à voir ici
    tout est réel
    à peine un épervier
    déchire-t-il
    le ciel
    qu’un corbeau le recoud"



    C’est sans doute dans cette lucidité jamais démentie que gît la grandeur en même temps que l’humilité de ce poète de la ferveur et de l’amitié qui en faisaient un irremplaçable compagnon de route sur les chemins escarpés de la vie, et savait entretenir pour nous la flamme vacillante de la poésie.
     

    Bernard Mazo
     
    texte publié in Revue Texture

     

     

    Biographie

    Serge Wellens était né le 11 août 1927 à Aulnay-sous-Bois, en région parisienne. Après le Certificat d’Etudes, il s’était empressé de quitter l’école primaire pour suivre des cours de commerce dans un institut situé au pied du Sacré Cœur. Il faisait souvent l’école buissonnière en sillonnant à vélo le Paris de l’Occupation.
    A dix-sept ans, il découvre la poésie à travers André Breton, Char, Michaux et entre comme apprenti commis dans une grande librairie du Quai Saint-Michel. Service militaire en 1947 en Algérie.
    A son retour, il fait la connaissance déterminante de Jean Rousselot grâce auquel il publiera en 1952 dans les célèbres Cahiers de Rochefort son premier recueil où il rejoignait d’emblée, dans le prestigieux catalogue de Jean Bouhier, Guillevic, Follain, René Guy Cadou, Joë Bousquet, Manoll.
    En 1951, André Malartre fonde la revue qui sera reprise en 1958 par Dubacq, Marissel et Wellens. C’est l’époque où, avec Marguerite Wellens, Serge tient la Librairie du Gay Savoir située au pied de Belleville, rue du Surmelin. C’est au cours des années soixante qu’ils organisent presque chaque semaine, dans un bistro voisin, des séances de lecture de poésie où défilent les grands aînés, ses amis et aussi, très fraternellement les jeunes poètes débutants que nous étions.
    Il reçoit en 1974 le Prix Claude Sernet. En décembre 1999, l’Université d’Angers lui consacre un colloque dont les Actes paraîtront en 2001.
    Entre temps, il aura quitté Paris pour s’installer définitivement à Marans, près de La Rochelle où sa nouvelle épouse, Annie, tient une librairie quelque peu « Saint-Sulpicienne » : Le puits de Jacob. Il vient d’être enterré à Maran, après son décès dans la nuit du samedi 30 janvier 2010.

     

    Bibliographie succincte

    J’écris pour te donner de mes nouvelles , Cahiers de Rochefort, 1952.
    A la mémoire des vivants , lithographie de Guy Robin, Cahiers de Rochefort, 1955.
    Les dieux existent, préface de Jean Rousselot, sérigraphie de Guy Robin, Millas-Martin, 1967.
    La concordance des temps , poèmes 1952 -1992, Folle Avoine, 1997.
    Les mots sont des chiens aveugles , vignette de René-Claude, Folle Avoine, 2001.
    Il m’arrive d’oublier que je perds la mémoire, Folle Avoine, 2006.
    Le rire des tourterelles , dessins de René-Claude, La Porte, 2001.

    Poèmes de l’inconfort, Folle Avoine, 2010.


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