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Michel Dugué, une poésie posée en soi
Jean-claude Leroy ←
Je lis Michel Dugué comme peut-être je lirais tel ou tel poète japonais, là où l’observation de ce qui est au-delà de soi vaut pour un état d’âme, une déclaration d’humanité absorbée aussi bien par l’impermanence que par le fugace. Un homme aux aguets ne va pas sans patience, et il partage son attention calme. C’est chance de lire aujourd’hui Tous les fils dénoués, le livre de Michel Dugué que les éditions Folle Avoine, qui lui sont fidèles, ont publié cet automne – les vers cités ici en sont extraits –, et bonheur de se promener avec lui entre ciel et terre, en rendez-vous intime avec la vie sans verbiage.
[…]
Que reste-t-il du paysage qui
s’épouille comme une bête
dans la niche du ciel ?Pas vraiment requis par quelque urgence existentielle, Michel Dugué ne paraît pas pressé par l’écriture, on dirait qu’il préfère attendre que la communion ait lieu d’elle-même, et elle arrive, et c’est cela que nous lisons plus tard, soit une poésie à la fois en apesanteur et finement ajustée à la vérité du moment, ce qui fait qu’elle garde indéfiniment sa valeur. Une valeur non pas d’usage mais vitale, qui n’a pas eu à s’efforcer, ni même à vouloir, inscrite simplement qu’elle est dans l’ordre des choses immuables. Ce calme de Michel Dugué, qui ressort de son texte, constitue un appui rare à celui qui s’avère fébrile et instable, car les tempéraments se soignent souvent de leurs contraires, et l’angoisse prend de fait le chemin qui lui convient. Un chemin sans âge, évoluant dans un cadre essentiel qui réunit « éléments, formes, nuages » comme le dit un de ses titres. Oui, d’ailleurs il suffit d’aligner quelques titres pour saisir l’univers où se baigne après lui son lecteur : Les Alentours ; Le Paysage, Le Chemin aveugle, Un hiver de Bretagne. Qu’on ne s’y méprenne toutefois, l’être n’est jamais absent de son écriture, au contraire. Mais il ne pèse jamais. Il fait un avec le paysage, avec celui qui passe, oiseau ou sentier, ou vent de sud-ouest, et plus rien n’est alors en regard, l’ensemble participant du même tableau.
Une planche oubliée
dans l’herbe luit
d’un reflet orange
à cause de l’humiditéMuseau à la barrière
le chien regarde
l’homme passéIl ne grogne, ni n’aboie
C’est que l’homme fait
le tour du mondeIl a enrôlé après lui
toutes les couleurs
toutes les odeursSeuls demeurent
le voyage et la planche
L’animal frétille
saisi de joieComme si le monde était dessin d’artiste, ou de multiples artistes, Michel Dugué apprécie en amateur averti la qualité du trait dans un paysage, d’une couleur, d’un frisson dans un feuillage, et note la présence d’un chien ou d’un oiseau, témoins fragiles d’un moment sans événement. Il désamorce ainsi le tragique inhérent à toute vie, en lui rendant la distance qui permet qu’elle coule autant qu’elle saigne.
L’homme le plus détaché nous apprend à nous fondre dans ce qui nous supporte. Il marche inlassablement, par tous les temps, dans un dehors qu’il sait pensif. N’exagérant son rôle, il obéit à son pas, suivant, pour un aller ou un retour, un à un, tous les fils dénoués.
[…]
S’il y a plusieurs nuits
dans la nuit
de quels mots l’habiter ?Le poème en sa demeure
fût-elle obscure
ne saurait dire autre chose***
Michel Dugué, Tous les fils dénoués, suivi de Nocturnes, éditions Folle Avoine, 2014, 112 pages, 18 €
Également :
L'âme du cidre (textes accompagnant des photographies de Pascal Glais), Apogée, 2013.
Contrée élémentaire, poèmes, La Porte, 2009
Les alentours, poèmes, Folle Avoine, 2005
Vannes pour mémoire, récit, éditions Apogée, 2004
Le chemin aveugle, récit, éditions Apogée, 2002
Éléments, formes, nuages, prose, Dana, 2000
Le jour contemporain, poèmes, Folle Avoine, 1999
Le paysage, prose, Wigwam éditions, 1993
Le salut à l'hôte, poèmes, Folle Avoine, 1989
Un hiver de Bretagne, roman, Ubacs, 1985
Nocturnes, in poésie partagée, poèmes, Folle Avoine, 1984
Une escorte très nue, poèmes, Folle Avoine, 1983
La mer, la mort, poèmes, - collection manuscrits - Encres vives, 1975
Métatracas, poèmes - collection manuscrits - Encres vives, 1971
Terre vigilante, poèmes, Encres vives, 1969
Tags : Dugué