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J-C Le Chevère, « Une singulière trinité »
↔ Bernard Le Doze
Jean-Claude Le Chevère ou une singulière trinité picaresque…
Une singulière trinité, roman de Jean-Claude Le Chevère, raconte l’histoire d’un homme qui retrouve sa famille à Rennes après cinq ans d’exil forcé, et qui va retomber sur un vieil ennemi…
On connaissait de Jean-Claude Le Chevère sa Lucienne ou la vie des autres (Folle Avoine, 1988) qui l’a fait tout de suite remarquer dans un milieu de lecteurs attentifs à ce que publient des éditeurs dits petits, eux-mêmes attentifs à des écritures émergentes qu’il convient de faire connaître. De 1996 à 2017, d’autres œuvres, romans et nouvelles, ont suivi, dont Le Notaire de Surville (2018) et La Lettre (2020), jusqu’à la parution en 2022, et toujours aux Éditions Folle Avoine, de cette Singulière trinité qui confirme l’inébranlable originalité de l’auteur.
Jean-Claude Le Chevère affectionne les ancrages dans des territoires et leurs milieux qu’il explore sans pesanteur et avec humour. La Singulière trinité a pour cadre principal la ville de Rennes où échoue Thomas, le personnage-phare du roman. Thomas, vraiment ? Ou Donald comme l’appellent familièrement ses père et mère ? Ou encore René, le temps d’une escroquerie dont il est le jouet en habit de séminariste ?
Rennes, donc, où se réfugie Thomas qui, après 5 années de réclusion, a retrouvé la bicoque familiale d’où il s’enfuit parce qu’y règne l’Abbé Leclerc, singulier personnage, escroc habile à extorquer aux vieilles femmes des contributions financières au financement de faux pèlerinages à Lourdes, en échange de promesses de vierges en plastique remplies d’eau bénite.
À Rennes, Thomas veut se refaire, repartir d’un élan neuf dans la vie. Il travaille comme plongeur au Petit bouchon, y fait la connaissance de Catherine qui l’héberge et avec qui se noue une tendre relation, jusqu’au jour où Leclerc, alias Labbé, alias Baron, alias Lemoine, réapparaît, et c’est le début d’un formidable second acte riche d’actions et de rebondissements aux cent personnages.
Après avoir exploité, au tout début du roman, la naïveté de vieilles femmes pieuses, avec la complicité involontaire de Thomas en faux séminariste, l’habile Leclerc ne veut rien moins qu’organiser tout un réseau de mendiants de centre-ville, et optimiser le rendement de la mendicité.
Alors qu’il tente de mener l’enquête du côté de Cesson, dans un squat où gîte ce ramassis de miséreux, Thomas se fait piéger et retombe sous la sujétion de Leclerc. Battu, drogué, il va devoir, lui aussi, s’adjoindre au réseau des mendiants aux côtés… de ses père et mère.
L’air de rien, et sous un jour presque fantasque, Jean-Claude Le Chevère nous offre un récit des plus réjouissants. Il y a là du picaresque dans cette fresque rennaise. Thomas a tout du personnage marginal de peu, confronté à des situations scabreuses, mais en quête d’un improbable salut possible. La tromperie, le subterfuge, la ruse, la combine sont des moyens d’apparaître pour survivre, et le tableau de la gueuserie rennaise organisée fait mouche, depuis ses ateliers d’habillage et de maquillage jusqu’à la place Hoche, ce Hoche, prénommé Lazare, saint patron des lépreux…
À la dernière ligne d’un captivant récit où s’énonce le devenir provisoire de Thomas et Catherine, Jean-Claude Le Chevère nous promet une suite… Car le picaresque, n’est-il pas vrai, s’empare de la vie chancelante et vit de rebonds d’espoir ?
Oh, vite, Folle Avoine, vite, nous vous en prions !
Bernard Le Doze
Unidivers, avril 2023 →
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