• CE QUE JE DOIS À S.W. (Serge Wellens)

    par Guy Benoit

     

    Le poète Guy Benoit, fondateur et animateur de la revue et des éditions Mai hors saison, adresse un fraternel salut à son ami Serge Wellens, disparu en 2010, témoignant ici pour plus de quarante années d’un compagnonnage éminemment poétique.

     

    CE QUE JE DOIS À S.W.

     

    À la suite de ton entretien dans la revue « Décharge » en mars 2005, je t’avais écrit, cher Serge, que les mots que tu avais pour Jean Rousselot – « l’amitié a ses coups de foudre » – , j’aimerais, moi, à ton égard… Le temps est venu, il concorde, même s’il m’arrive de mélanger les dates.

    Quarante années de relation généreuse au cours desquelles j’ai pu découvrir, puis vérifier la stature du poète fraternel.

    je me souviens de ta librairie à l’enseigne du « Gay Savoir », en 1966, dans le bas de Belleville, les soirées « Iô »* dans la salle d’un café au flanc de la colline St Fargeau, et dans les années 70, des samedis mensuels que vous organisiez aux Lilas, s’y croisaient de vraies pointures (Guillevic, Chaulot, Decaunes), les anciens de « l’Orphéon »** et quelques pousses prometteuses

    Je pratiquais surtout une sociabilité politique. J’ai appris ce qu’est UN PARTAGEUX DE LA LANGUE.

    Ta prévenance s’exerçait à tous les niveaux, en phase avec les gens. Ainsi, avec une égale faconde, tu savais évoquer des « entrées de clown », Chateaubriand et sa « Vie de Rancé », la série TV « La petite maison dans la prairie », et souhaiter que le trèfle à quatre feuilles devienne la seule monnaie. Un art de la formule à bon escient!

    De l’alpha à l’oméga, ton œuvre est irriguée par une interrogation

    « Va savoir si c’est de l’homme »

    « Va savoir si c’est de l’arbre »

    La fonction totémique de l’Arbre y catharsise nos désolations. Une poésie jamais fâchée avec elle-même, réticente à la surenchère lyrique, aux métaphores embrouillées et à la belle parlure. D’où une discrétion de la touche, une concaténation bénéfique et limpide des images, une unité de ton qui se plie aux contingences mais ne rompt pas : voilà qui force le respect.

    Les mots sont des résidents aussi éphémères, minimes que sauterelles, cigales, hannetons ou pucerons, toutefois à travers eux monte la prière unique que n’atteindront jamais les missiles de la haine. Progressivement l’arrière-pensée religieuse a trouvé sa légitimité poétique. Dieu ne fut pas un angle mort mais un poste à distance où il n’y a que l’amour – franciscain, assurément. Bien que le poème ne soit pas parole d’évangile, le rôle du poète serait-il de « diminuer l’éloignement » ? Devrais-je répéter qu’entre le chrétien Wellens et Serge le poète je me faufile facile, fragile aussi, pour cette activité d’exception

    le seuil complice où le mystère de l’athéisme comme le mystère de la foi on n’a jamais fini de les comprendre.

    Et quand la méditation risque de se dérober sous nos pieds, tu es le poète qui donne à croire en gardant « un maintien modeste », voire jovial. Ou comment passer du terrier au « territoire sans limites ».

    Dignité de qui prend congé de soi, d’une réalité trompeuse qu’on a assez vue. Passage crucial, aveuglant, de la vue au « parvis » de la vision. Le réel fait grise mine. Le ciel tourne la page. Un décollement prend place. Une telle « prise en amitié » que, jusqu’au dépouillement extrême, la vie ne peut que faire honneur au « cœur qui a des yeux et veille » (Angelus Silesius).

    La chance de tes poèmes, c’est que l’inquiétude y fait toujours forte impression parce qu’elle n’a pas de goût amer. Ton courage devant les abattements de l’âge – l’outrage ! – et l’inquiétude modifie sa palette, l’enrichit au point que le doute mange son pain blanc. Le courage des humbles en poésie, les meilleurs.

    Absent, tu offres encore une leçon de vie lorsque la nuit porte l’insomnie à hauteur d’âme. (Bouffées d’inconnu et de vieil homme étroitement mêlés, rêvés, préservés !). « Le pays diaphane » est là, fervent, qui nous happe et échappe à l’hyperprésentisme.

    Serge, tu continues à me donner de tes nouvelles.

    Sacé, le 29 décembre 2019

    Guy Benoit

    * Guy Benoit évoque ici la revue Io, voir ici

    ** L'Orphéon, groupe de poètes organisant des rencontres avec lectures, rencontrant un large public et publiant les Cahiers de l'Orphéon.

     


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