• Antonio Otero Seco,  « Poésie I et II »

    par Alain Roussel                                                                       

    Né en Espagne, Antonio Otero Seco (1905-1970) fut, durant toute sa vie, un homme de combat, engagé du côté des Républicains avant, pendant et après la guerre civile qui embrasa son pays. S’il fut surtout un journaliste écrivant dans de nombreux journaux, tant en Espagne qu’à l’étranger, notamment en France où il vécut en exil à partir de 1947, il écrivit aussi des pièces de théâtre et des poèmes. Ces derniers, il ne les destinait pas à la publication, sauf peut-être à la fin de sa vie, mais ce projet ne fut concrétisé que récemment, les textes rassemblés par ses deux fils venant d’être publiés par les éditions Folle Avoine à la fois dans leur langue originale et en français, grâce à Albert Bensoussan, éminent traducteur de Vargas Llosa et d’autres grands écrivains de langue espagnole.

    D’une qualité indéniable, la poésie d’Otero Seco aurait pu, s’il l’avait souhaité, être publiée bien avant, mais il avait choisi d’en faire un lieu secret, presque clandestin comme l’avait été une partie de sa vie, où il venait exprimer ses sentiments les plus intimes dans une belle langue classique, souvent poignante quand il évoque la mémoire de ses amis disparus ou assassinés sous la dictature de Franco, dont Federico Garcia Lorca :

    « Federico :

    Tu t’en es allé pour toujours
    sur un chemin de hauts cyprès
    dans la plainte d’oiseaux de verre
    et tambourins gitans.
    Ton cœur qui était
    rond comme un citron
    s’est figé en oiseaux sans trille. »

    Le chant joyeux qu’il déploie dans ses premiers poèmes en vers très courts, célébrant la vie et les lieux qu’il traverse au cours de ses voyages dans une sorte d’insouciance et porté par l’espoir d’un monde nouveau, Mogador, Casablanca, Tanger, Malaga…, s’assombrit, devient grave au fur et à mesure que l’étau des troupes franquistes se resserre sur les défenseurs de la République. De ces événements tragiques, il en avait eu pourtant, très tôt, comme la prémonition dans le poème qu’il avait consacré à Christophe Colomb :

    « Regarde, Colomb : je te le dis
    car je ne dois pas le taire :
    sur le mât de ton bateau
    niche un oiseau de mauvais augure… »

    Dans le désespoir, sa voix n’en est que plus intense. En exil sur sa propre terre, dans les prisons de Franco, les poèmes qu’il dédie à sa femme, Maria, sont de superbes lettres d’amour, en voici une strophe :

    « Avant que le coq ne chante sans savoir son message
    parce qu’un mandat antique l’oblige à ce cri clair
    je veux te dire, avant que ne se lève le jour,
    que tu renais en moi comme une rose épanouie. »

    Après avoir connu la clandestinité, collaborant avec la résistance antifranquiste, Antonio Otero Seco, dont la situation est devenue intenable en Espagne, se réfugie à Paris en 1947 où il continue son activité de journaliste par le biais de l’Association des Journalistes Espagnols exilés, ce qui lui permettra de voyager dans le nord de l’Europe. Lors de ces déplacements vécus comme « une parenthèse souriante », en visitant la Finlande, le Danemark, Rome, sa poésie retrouvera par instants, souvent en des formes courtes, certains accents de sa jeunesse, Mais c’est le plus souvent en homme brisé qu’il s’exprime avec pourtant une petite note d’espoir, « les os pelés revêtus d’horizons ». Même quand sa famille l’aura rejoint à Rennes où il enseignera à l’Université la langue et la littérature espagnoles, il continuera de porter en lui jusqu’à sa mort cette blessure d’exil, et il ne reverra jamais l’Espagne. Au fil des années, le ton élégiaque domine sa poésie avec la célébration des amis morts, « entouré de nostalgie, assiégé de souvenirs ».

    Antonio Otero Seco se faisait une haute idée de la poésie, ce qui impliquait pour lui une certaine rareté. Il n’écrivait que sous la pression d’une nécessité intérieure, à tel ou tel moment de son existence. Aussi chaque poème correspond-il à une circonstance particulière et ne s’inscrit pas dans une démarche globale avec la volonté de construire un livre. L’impression d’authenticité que ressent le lecteur n’en est que plus prégnante. Face aux tragédies de l’Histoire, il y a cette pureté de la page où l’auteur peut exprimer sa détresse, mais aussi écrire son rêve et ce qui lui reste d’espoir.

     Alain Roussel

     

    (Note de lecture publiée avec l’autorisation d’Alain Roussel et de la revue « Europe », septembre-octobre 2017)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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